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mardi, 28 octobre 2008

Retournement

Montpellier 2004 Millenaire (8).jpgUn autre inédit de Pierre Autin-Grenier :

Il ne faisait pas bon se trouver tout à l’heure dans le voisinage de la Bourse ni même dans un large périmètre alentour si l’on ne voulait pas se faire hacher menu par les bataillons de la Police Armée du Peuple qui, après avoir dispersé sans mollir un attroupement de petits porteurs naïfs ruinés par l’effondrement des cours, pourchassaient dans les rues adjacentes les pauvres diables qui avaient eu la folle outrecuidance d’accorder crédit aux promesses mirifiques du pouvoir, s’étaient trop vite rêvés rentiers pour se retrouver aujourd’hui sans toit et condamnés à la soupe populaire ou peu s’en faut. C’était comique de voir ces costume-cravate hier encore épris du nouveau système autant que d’eux-mêmes, laudateurs intrépides de ses chefs les plus retors et chantres des causes les plus abjectes se faire courser comme vulgaires volailles et massacrer sur le pavé par les petits malfrats de la P.A.P. qui n’y allaient vraiment pas de main morte, c’est le moins qu’on puisse dire.

     Nous passions précisément par là, Martin et moi, quand un de ces petits margoulins, souffle court et occiput à portée de bidule, en désespoir de cause vint se jeter dans nos bras pour échapper à ses poursuivants. Tout en chair de poule le pauvre ne put que bredouiller un vague appel au secours en nous postillonnant à profusion dans la figure tant il était dans le trente-sixième dessous, aussi le spectacle de cet infortuné en pleine débandade nous inspira-t-il quand même une miette de compassion et c’est Martin mieux que moi, fertile en ruses et stratagèmes comme personne, qui sut finalement lui sauver d’extrême justesse la mise. L’instant de terreur passé, écarté tout danger immédiat, nous nous sommes enfilés sans trop faire les fiers dans la première ruelle venue et, pressant le pas, avons rejoint ensuite les quais par un dédale de traboules toutes plus discrètes les unes que les autres entraînant avec nous notre nouvelle recrue qui n’en menait pas large.

     Mon rendez-vous à la Friterie-bar Brunetti, où je devais retrouver l’un des nôtres, étant pour cinq heures et comme nous en approchions nous voilà tous les trois attablés autour d’un pot de mâcon pour nous remettre de nos émotions. Notre homme, toujours baigné de sueur, ne fut pas long à dévider devant nous son chapelet de misères. C’était en fait un poète distingué, un érudit laborieux et subtil ayant soutenu une thèse sur La théorie du principe de l’existence dynamique, donné à des sociétés savantes diverses communications sur Les noms d’animaux et de plantes dans la poésie amoureuse de Heinrich von Morungen, que sais-je encore! Bref, rien de ces pitoyables minus aux penchants pour les coups tordus et la castagne qu’enrôle en général le régime et qui finissent par s’enrichir on sait trop comment. Non, dans une mauvaise passe il avait seulement tenté pour s’en sortir de tripoter en dilettante à la Bourse, un joli jackpot l’avait poussé à fricoter ensuite dans l’immobilier et pour finir, ayant renoncé à la poésie, il s’était complètement avachi dans les affaires, de là son soutien aveugle au pouvoir en place. Et maintenant il étouffait à grand-peine ses larmes en nous racontant ça.

     Ce fut dès lors un jeu d’enfant que de le faire revenir aux dures réalités du moment, lui dessiller les yeux sur la vraie nature du régime et l’amener à franchir le Rubicon pour s’engager à nos côtés dans la clandestinité. À cinq heures pétantes, quand mon contact arriva, je fis les présentations; passé un bref échange tout en sympathie, il fut décidé sur-le-champ qu’il rejoindrait la section du Troisième dès samedi. Un brave gars, pour tout dire.

 

 

P.A.G

Extrait de « C’est tous les jours comme ça (Les dernières notes d’Anthelme Bonnard) » inédit.

Pierre Autin-Grenier sera au Salon Place aux livres, place Bellecour à Lyon, sur le stand des éditions Cadex et des éditons du Chemin de Fer, du 7 au 9 novembre 2008.

Voir ici le site du Salon avec  toutes les infos

 

Photo de Gildas Pasquet

 

 

Restrictions

Unknown.jpegUn inédit de Pierre Autin-Grenier :

Depuis quelques jours c’est la croix et la bannière pour se procurer un quart de miche ou une demi-baguette dans le quartier. Devant les rares boulangeries qui pétrissent encore ce sont des queues et des attentes interminables, les boutiques sont littéralement assiégées dès avant potron-minet si bien qu’à l’ouverture des portes c’est la ruée, la prise d’assaut par des foules de ménagères très remontées qui se disputent sans ménagements les trois quignons restants, les dernières miettes de la fournée quand tout a disparu en moins de deux du peu que le pauvre boulanger a pu cuire avec le ridicule quota de farine qui lui est alloué. Sans compter que le prix du pain a quasi quintuplé depuis janvier et qu’au train où vont les choses il faudra tantôt deux liasses de dix pour se payer une simple ficelle; bienheureux alors les brèche-dents qui pourront se contenter d’une bouillie d’épeautre pour tout casse-croûte en attendant l’improbable miracle de la multiplication.

On ne s’était déjà accoutumés qu’à grand-peine à la pénurie de viande rouge, de volailles et de lapins disparus comme par enchantement des étals avant même que les autorités n’aient eu besoin d’imposer quelque rationnement que ce soit en rétablissant, c’est toujours possible, l’usage des tickets; perspective qui reste cependant dans l’air au ministère de l’Alimentation pour les denrées de consommation courante et dont les anciens gardent un souvenir assez cuisant. Le journal “Libération” récemment autorisé à reparaître une fois par semaine, n’affirmait-il pas dans les colonnes de sa dernière édition, et ce malgré la vigilance sans cesse redoublée de la censure, que ce projet était sérieusement à l’étude et verrait sans doute le jour dès l’automne prochain? Devrons-nous, d’ici décembre, ne plus pouvoir compter que sur les centaines de tonnes de phacochère et de buffle nain que le Burkina Faso s’est engagé, dit-on, à nous livrer sous peu à titre d’entraide?

C’est en vain que les Brigades de Jeunes Travailleurs pourchassent sans-emploi, pensionnés, inactifs et nécessiteux aux coins des rues pour faire régner un semblant d’ordre et ne pas contrarier l’idée de prospérité du pays dont la propagande assénée par les journaux et les télévisions nous rebat les oreilles à longueur de journée : il y a beau temps que tous ces miséreux ne fouillent plus les poubelles à la recherche de quelque nourriture de rebut; elles sont désespérément vides de la moindre marchandise avariée, du plus petit os susceptible d’encore une fois pouvoir être rongé. Nos concitoyens ne jettent plus rien de ce qui pourrait, fût-ce au prix d’un sérieux effort, être avalé et leur desserrer un tant soit peu l’estomac; le soir, dans la basse ville, des familles entières font même bouillir des emballages alimentaires et des papiers gras dans de grands faitouts pour tout potage. Que cette période de disette se prolonge au-delà du supportable, que la population soit décidément exténuée par l’épreuve et les privations de toutes sortes et nulle autorité ne pourra plus répondre de rien; plus que probable, cela paraît certain.

Sans doute, malgré les mines tristes et renfrognées, c’est le calme plat en ce moment, je dois bien le noter. Mais qu’en conclure, et qui peut dire quel jour suivra demain ?

P.A.G

Extrait de « C’est tous les jours comme ça (Les dernières notes d’Anthelme Bonnard) » inédit.

Pierre Autin-Grenier sera au Salon Place aux livres, place Bellecour à Lyon, sur le stand des éditions Cadex et des éditons du Chemin de Fer, du 7 au 9 novembre 2008.

Voir ici le site du Salon avec  toutes les infos

 

 

samedi, 30 août 2008

Une entrecôte drôlement politisée

VILENEUVE (8).jpgou pour saluer fraternellement Jean-Claude Izzo, toujours présent, par Pierre Autin-Grenier :

Onze heures et demie, je dégringole l’escalier et fonce chez le boucher pour attraper l’entrecôte que je compte fricoter à midi à la marchand de vin ; je tombe dans la boutique sur François Mitterrand en train de discuter le bout de gras avec un type que, de prime abord, je ne reconnais pas. Pour sûr ce n’est ni Beckett ni Cioran, plutôt un aigre fausset à la Guitton et des propos qui vont avec ; “Deux bons doigts dans l’entrecôte” je dis au boucher un rien amusé de me voir, l’air intrigué, tendre l’oreille par-dessus ses rillettes pour tenter de saisir quelques bribes du bavardage ambiant. En cinq-six coups secs de hachoir dans ma bidoche sur son étal il me saucissonne complètement les derniers mots du Président et maintenant c’est la petite musique de fin d’émission ; “Une page de publicité avant la Bourse” annonce l’animatrice dans l’enceinte accrochée au mur sous un effrayant massacre de cerf d’au moins dix cors. Plaisante magie des archives radiophoniques qui permet d’entendre, comme en public et en direct, l’ancien Président disserter d’outre-tombe du Temps et de l’Éternité avec un philosophe stéphanois mort lui aussi cependant que votre boucher, la mine réjouie, essuie ses mains sanguinolentes au pan de son tablier : “Emballez, c’est pesé! Et avec ça ? ”

Lire la nouvelle en entier ici

Photo de Gildas Pasquet

jeudi, 28 août 2008

J'ai fait un rêve

 DSC07657.JPGJ'ai fait un rêve : à force de poésie et d'imaginaire, enfin j'étais nègre, tel Aimé Césaire ! Je retournais au pays natal et retrouvais les terres fertiles de l'enfance. De loin je regardais s'agiter l'Occident moqueur et roturier, surpris un peu d'avoir un temps appartenu à cette tribu perdue. Alors elle mettait sa main noire dans ma main noire et longtemps nous marchions sur des chemins de poussière dans la chaleur du soir, allant pour ainsi dire nulle part, mais satisfaits et rassurés comme deux enfants de ce renouveau africain.

Pierre Autin-Grenier

Peinture de Delbar Shahbaz

vendredi, 22 août 2008

Rentrée Nouvelles 2008 à Forcalquier 22-25 août 2008

RNweb.jpgPremière manifestation d´envergure autour de ce genre littéraire depuis la disparition du festival de la nouvelle de Saint-Quentin

Avec notamment Pierre Autin-Grenier

Voir toutes les infos ici

vendredi, 25 juillet 2008

Un inédit de Pierre Autin-Grenier

Cordes sur ciel. 2004 (2).jpgUn couple d’étudiants des Beaux-Arts s’est fait prendre en flagrant délit en train de lire, lui un roman de Zola, elle (ce qui ne va pas manquer d’aggraver sérieusement son cas) un samizdat de V., dans le Lyon-Orléans de dix-huit heures quatre, hier. Trois jeunes recrues frais versées dans la toute nouvelle Police Armée du Peuple ont sans doute voulu faire d’entrée du zèle et afficher ainsi leur ardeur a bien servir le régime en opérant de leur propre initiative ce contrôle-surprise juste avant le départ du train.

La suite à lire ici sur le blog de Martine Laval

Photo de Gildas Pasquet

mercredi, 06 février 2008

Le jeudi 14 février c’est aussi...

...l’inauguration des nouveaux locaux du Vin Noir, au 3 place Bouschet de Bernard, à Montpellier

A partir de 18h30 avec surprise musicale et dégustation…

mardi, 05 février 2008

Un inédit de Pierre Autin-Grenier : Forces spéciales

0d7b3df8966d7e894fade724dd95133c.jpg Extrait de son prochain livre : « C’est tous les jours comme ça (Les dernières notes d’Anthelme Bonnard) »

Vrai, ça n’en finit plus. Depuis hier après-midi, sur le coup des cinq heures à ce qu’il me semble, trois unités des forces spéciales se sont rendues maître de la place et, en un tournemain, ont passé la camisole à tout le quartier sans ménagement aucun. C’est donc la deuxième fois en moins d’un mois que nous sommes soumis à ces manœuvres d’intimidation arrogantes et brutales et devons subir sans broncher les désagréments qui en résultent, comme si l’autorité ne pouvait s’exercer que sous la menace et par les craintes qu’elle suscite. Ainsi dès l’aube était-il impossible de faire plus de trois pas sur le boulevard sans devoir présenter à tout bout de champ ses papiers d’identité, livrets militaire et de famille compris, à ces badernes en treillis dont les rustres manières ne portent guère plus à la plaisanterie qu’un écroulement d’immeuble au beau milieu d’une rue piétonne. Dans ces conditions, aller seulement chercher son pain ou tenter de s’approcher d’une bouche de métro pour gagner le centre-ville tient du parcours du combattant, exige une sérieuse maîtrise de soi en même temps qu’un système nerveux à toute épreuve. Certains sont sur le point de craquer, c’est patent.
Midi n’a pas sonné qu’on commence déjà à trouver le temps long, l’atmosphère par trop étouffante. Les nez s’allongent et sur les trottoirs les rares passants requis par leurs obligations pressent l’allure; la mine renfrognée ils vont sans voir les blindés postés à chaque coin de rue non plus les molosses démuselés qui salivent au pied des uniformes. Si tout un chacun adopte un profil bas, on sent dans l’air qu’une sourde colère contre le pouvoir et ses agissements couve dans les esprits; bientôt ce bouillonnement de révolte et de désirs trop longtemps contenu débordera sans doute les forces d’oppression, peut-être pourra-t-on espérer des jours meilleurs alors. Pour l’heure tout le monde serre les poings et s’interroge en son for intérieur quant aux raisons qui auraient pu motiver un tel acharnement à notre encontre. Certes notre quartier reste rebelle et frondeur, de renommée comme de par son histoire, et s’est organisée ici, mieux que partout ailleurs, une solide résistance au régime avant même que ses instigateurs ne soient parvenus à leurs fins mais, que je sache, nulle escarmouche non plus la moindre anicroche n’est venue troubler l’ordre public depuis belle lurette et le quotidien offre toutes les apparences d’un lieu calme et tranquille où la population vit et s’active au rythme des réformes en parfaite harmonie avec le pouvoir central.
Que faire face à cette politique de pression et de chantage dont nous faisons les frais plus souvent qu’à notre tour, et combien de temps cela va-t-il durer encore ? On ne sait pas.



P.A.G
 

jeudi, 29 novembre 2007

Un cri, de Pierre Autin-Grenier, prix Léo Ferré 2007, remis par la ville de Grigny

4c688d3d83c226bd95412f223842e75d.jpg« Et maintenant, comme je l'ai dit au début, nous pressions le pas sous la Grande Ourse. Dissipée notre frayeur nous avancions, résolus, comme aspirés par l'horrible trou borgne de la nuit, en direction de cette interminable agonie. En somme on marchait à la recherche d'un cri. L'essentiel n'était-il pas de trouver d'où cela venait ? Après, nous verrions bien...» Une nuit d'hiver, les habitants d'une ferme partent dans les bois pour découvrir l'origine d'une inquiétante plainte, « du côté des collines ».

Accompagnés de l'éclat d'une lune « étrangement écarlate », de lanternes, de chiens, et du souvenir du « crime des Granges Rouges », les hommes s'enfoncent dans l'obscurité. « Il se passe, en décembre, des faits bien étranges à l'écart de nos bourgs »... Le cri devient grognement, ricanement ; malgré la nuit et l'inextricable maquis, les bruits de bête et les craquements d'arbres, le curieux cortège ne cèdera pas à la panique, et sera bientôt à deux doigts de percer le mystère...

La première parution d'Un cri, dans le recueil de nouvelles L'Ange au gilet rouge (aux éditions Syros) a marqué un tournant dans l'oeuvre de Pierre Autin-Grenier : l'auteur de poésie « noire » nous a offert, depuis, des récits où se côtoient le fantastique et le surréalisme (Toute un vie bien ratée, L'Éternité est inutile). Avec l'habileté d'un conteur à la veillée au coin du feu, Pierre Autin-Grenier sait manier à la perfection une langue gouailleuse et musicale, populaire et élaborée à la fois. Le rythme des scènes entretient merveilleusement le suspense, jusqu'au tableau final d'une beauté rare, une « vision d'apocalypse » dévoilée dans la toute dernière phrase.

Un cri : nouvelle de Pierre Autin-Grenier, illustrations de Laurent Dierick, préface de Dominique Fabre Collection « Texte au carré », 14x14 cm, 36 pages, Prix : 9 euros

-CADEX EDITIONS 19 rue d'en Quissé Russan 30 190 Sainte-Anastasie Tél/Fax : 04 66 22 47 74 cadex@cadex-editions.net

http://www.cadex-editions.net

jeudi, 15 novembre 2007

Sacré Vendredi 13 !

83bdd4a8c39e41e86435c468d57fb0b4.jpgÇa commence mal cette histoire. À peine servis les apéritifs la discussion s’engage sur un point de doctrine des plus byzantins à la façon d’un combat entre les Horaces et les Curiaces. J’aurais plutôt poussé, moi, à débattre pépère des mérites des boulomanes castels-bonisontains comparés aux vertus des vélocipèdistes de La Ricamarie ou de tout autre sujet laissant place à la respiration et offrant de multiples raisons de trinquer ensemble  —  tchin-tchin  —  et vider quelques verres sous ce ciel de vendanges que venaient taquiner des envolées de moucherons. Après tout nous nous retrouvons entre amis autour d’un lapin tombé au champ d’honneur et vite fricassé en gibelotte pour papoter sur pluie et beau temps, et non pour catéchiser l’incrédule à coups  d’arguties branlantes, de raisonnements spécieux s’effilochant en mille querelles d’Allemand cependant que les glaçons fondent en larmes dans les anisettes et que le frichti risque le coup de feu sur le fourneau. Mais inutile de se tortiller sur sa chaise à chercher en vain nouvel ordre du jour et tenter ainsi de rompre les chiens, l’affaire est mal partie même si je ne sais plus quel trouble-fête a lancé la question de croire ou non aux bons et mauvais présages, chats noirs ou merles blancs, et autres superstitions. Maintenant, voilà : c’est la vraie foire d’empoigne où l’un agonit l’autre, l’autre incendie l’un, tous se chamaillant à qui mieux mieux. Nous ne sommes même pas douze apôtres réunis pour célébrer les qualités de ce lapin qu’on se croirait déjà treize à table !

 

 Une fois   —  je raconte à nouveau  —   je me suis trouvé moi-même nez à nez, figurez-vous, avec un pendu. Je devais avoir sept ans et cela s’est passé dans un bois près de Claveisolles,  j’étais sans doute aux  champignons ; “ Non, pas du tout hallucinogènes ! ” je réplique à Anne-Marie qui, certes, a entendu cent fois l’histoire mais prétend maintenant que j’invente, qu’à chaque nouvelle version j’en rajoute. Mon bonhomme se balançait bel et bien au bout d’une branche, il tirait une drôle de langue et son cou de poulet saucissonné par la cravate de chanvre achevait de lui donner cet air flapi qu’ont les pantins de chiffon accrochés à leur patère la farce terminée. Longtemps j’ai tenu la chose secrète, de jeudi en jeudi me rendant en catimini aux pieds de mon pendu lui faire mes confidences, tenter aussi d’obtenir son intercession auprès des puissances obscures qui régissent nos destinées dans l’espoir idiot d’échapper ainsi à la vie de traîne-chagrin qui m’était faite alors. Eh bien, ne croyez ni à Dieu ni à Diable si vous voulez, mais quand l’automne venu des braconniers à la traque d’un sanglier sont tombés dessus et se sont partagé un bout de corde pourtant déjà bien élimé, dans la saison l’un s’est enrichi d’un champ d’une centaine d’arpents tandis que l’autre, du même coup, héritait d’un troupeau de trente cornes. Que mon pendu ait porté bonheur à toute la paroisse n’empêcha point cependant qu’il fût pour moi porte-poisse puisque, sitôt l’affaire classée, je quittai la communale et, pour me permettre de mieux oublier, on m’enferma illico presto dans une boîte de curés.

 

Comme Anne-Marie convient qu’il serait finalement trop facile de dénicher un macchabée chaque matin pour qu’à midi vous tombent dans le bec des cailles toutes rôties accompagnées de leurs cèpes farcis et qu’aussi ma petite anecdote à double tranchant a drôlement égayé l’atmosphère, une seconde j’espère que nous allons embrayer sur sujet moins branquignol que les superstitions et autres croyances absurdes en l’au-delà et qu’est-ce que vous pensez je dis, comme ça, de la dernière récolte qui nous promet, je crois, un bon millésime pour les bordeaux et de fameux pots de côtes à venir, non ? … Un ange passe.  Tout le monde alentour me fait d’abord des yeux de merlan frit, mais bien vite se ressaisit pour aussitôt relancer de plus belle la machine à tricoter les théories fumeuses, les jacasseries sans fin et  —  Hardi, petit !  —  voilà que c’est reparti comme en quatorze ! Quand l’irrationnel s’est emparé d’esprits échauffés, qu’il a bien fait son nid dans la conversation au point de tout accaparer, alors vous ne pourrez jamais empêcher que Pierre n’ait une vague expérience de table tournante à mettre sur le tapis tandis que la langue de Paul lui démange déjà d’expliquer comment, ayant sans mauvais calcul écrasé le matin un chat noir, il fut de manière bizarre pris de coliques néphrétiques dès le soir. Et maintenant même ma femme lâchant ses casseroles décide d’entrer dans la danse, d’ajouter son grain de sel, férue à tous crins de réincarnation et de polka des planètes. Je présage que ce charivari va tantôt tourner vinaigre et , pour finir, ce damné lapin nous aura jeté le mauvais œil, voilà tout.

 

Sans doute eût-il été plus sage, avant que de claironner ripaille, d’examiner en bon aruspice les entrailles de ce garenne pour décider de l’opportunité d’une telle réunion plutôt que de les abandonner à la voracité des bâtards du voisinage et voir ainsi de quel oracle auraient accouché Dionysos, Artémis d’Éphèse ou les divinités champêtres et de la convivialité réunies. Comment aurais-je pu imaginer, à moi tout seul et avec ma franche naïveté, que le sacrifice de ce malheureux mammifère allait tous nous précipiter dans des polémiques de chiffonniers, crêpages de chignons et furieuses prises de becs ; rendus les uns comme les autres aux confins de la folie ? Aurais-je jamais pu soupçonner, il y a seulement deux lunes, que nombre de mes amis fussent à ce point tourmentés par diableries, sciences occultes et trèfles à quatre feuilles jusqu’à vouer aux gémonies ceux d’entre nous qui, ayant les deux pieds bien établis sur terre, ne se soucient d’avoir à passer sous une échelle pas plus qu’ils n’envisagent se rendre à La Mecque en pédalo et n’ont cure des “ Abracadabra ” de la cabale pas davantage que des “ Alléluia ” de la calotte. Boniments de chaisières un poil foldingues ou de bedeaux illuminés, préceptes de gourous berrichons ou prédictions d’astrologues carpentrassiens semblent ainsi en avoir saisi plus d’un qui, croyant dur comme fer à ce bric-à-brac mystique et redoutant partout couteaux en croix et salières renversées, s’est mis martel en tête pour convertir le reste de la tablée à son dada surréaliste et maintenant, dans le brouhaha des controverses, les rodomontades des uns et les cris d’orfraie des autres, c’est comme la vague et confuse appréhension d’une menace qui soudain plane sur l’ensemble de l’assistance. Oiseau de malheur que ce maudit lapin !

 

Sous la tonnelle les senteurs vives et framboisées des vendanges alentour que traversent, par effluves, les parfums mêlés de l’été finissant et des premiers labours d’automne pourtant voudraient incliner à plus large tolérance, à rire aussi ensemble de bon cœur et pour un rien, — je ne sais pas, moi —  à cause des pétanqueurs castels-bonisontains par exemple ou peut-être des cyclistes moustachus de La Ricamarie, enfin danser le chahut copains-copains et nous féliciter de l’heureuse participation du soleil à ces agapes de septembre plutôt qu’abdiquer toute raison et courir à la castagne à force de furie des croyances à mystères pour les uns et d’acharnement dans une incrédulité sans partage pour les autres. Le monde n’appartient à personne, hasarde Anne-Marie espérant de la sorte calmer le jeu, et l’éternité aussi est inutile. Elle a lâché ça d’une petite voix rose bonbon certes, mais presque sans avoir l’air de rien en somme et pensant bien faire. Quand même, c’est un peu comme si, tout d’un coup, elle s’était mise à brailler à pleins poumons  “ Il n’est de sauveurs suprêmes : ni Dieu, ni César, ni tribun ; joyeux ripailleurs sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun ! ” Devant le hourvari de clameurs que soulève aussitôt dans chaque camp semblable assertion et la pagaille qui s’ensuit, les plus sensés un instant songent à se réfugier dans les montagnes du Montana pour échapper au pire tandis qu’Anne-Marie, profil bas, pique du nez dans son assiette sur deux tibias de lapin croisés là on ne sait ni par qui ni comment. On sent bien malgré la douceur de l’air ambiant et les suaves odeurs d’automne que quelque chose entre nous vacille, chancelle et menace de sombrer qui va, pour finir, nous laisser le souvenir de ce satané lapin en travers de l’estomac.

 

Au dessert l’étripage est à son comble et l’indifférence générale envers l’île flottante pour laquelle personne ne semble maintenant avoir le moindre goût. Personne non plus ne prête attention à cette escadrille de moucherons qui depuis lurette nous tournicote devant les mirettes et, subitement, se lance à l’attaque des tours d’or et d’argent du World Trade Center plantées dans la crème anglaise comme une décoration certes assez prétentieuse et imbécile au milieu des blancs d’œufs battus en neige. Quand Anne-Marie hurle  “ Attention ! ” il est déjà trop tard. Déstabilisée par les habiles bestioles l’une des Twin Towers s’effondre dans mon arabica, l’autre s’affaisse lamentablement dans la tasse d’Anne-Marie. “ MERDRE ! ” tout le monde crie, éclaboussé. C’en est fait de mon café, il fout le camp et remontent à la surface des flopées de dollars en marmelade cependant que vibrionnant autour de nous le gang des moucherons entame avec insolence le fameux “ In God we trust ”.  Sacré vendredi 13, j’en conclus à part moi, pour une histoire qui, si mal commencée, ne pouvait finir autrement que dans la panade.

 

Pierre Autin-Grenier

Extrait de « L’Éternité est inutile » (Gallimard/L’Arpenteur, 2002).

Cette nouvelle et le tableau de Annie Caizergues ont paru dans la revue L'instant du monde n° 1 (2002) 

 

lundi, 29 octobre 2007

Salon de l'écrit à l'écran, à Grigny (Rhône)


Samedi 10 & dimanche 11 novembre

Un salon de l'édition indépendante… Une manifestation unique en son genre, qui donne la parole aux auteurs et aux éditeurs, autour d'un verre ou d'une projection de film.

Avec les écrivains :

Pierre Autin-Grenier, Valère Staraselski, Jean-Pascal Dubost, Christian Valléry, Hélène Lanscotte.

Avec le réalisateur Olivier Brunet pour son documentaire Le plaisir d’exister – Michel Onfray et les universités populaires.

INAUGURATION du Salon le samedi à 11h30 en présence de René Balme, Maire de Grigny et remise du PRIX LÉO FERRÉ, Prix de littérature contemporaine de la Ville de Grigny.

Au Programme :

Des stands d'éditeurs indépendants dont les éditions CADEX, de presses alternatives (Le Sarkophage, La Décroissance, Casseurs de Pub, Réseau Voltaire, etc) et de libraires.

Des projections de films. Des spectacles, des rencontres et des tables-rondes. Des expositions et des animations tout au long de la manifestation par le Crieur public de la Croix-Rousse, stand multimédia par La M@ison et l'association ViVé.

renseignements :    04 72 50 14 78 et sur internet : http://www.grigny69.com/spip.php?article1343 

horaires :

Samedi de 11h à 19h / dimanche de 14h à 19h

Projection du vendredi soir : 20h (entrée libre).

vendredi, 21 septembre 2007

Un inédit de Pierre Autin-Grenier

A lire ici

mardi, 04 septembre 2007

Texte au carré

La Maison des Écrivains fête Cadex et la collection "Texte au carré" le 4 octobre prochain à la librairie Le Comptoir des mots à Paris 

Réservez dès maintenant votre soirée ! 

La Maison des Écrivains, avec le partenariat de la très belle librairie Le Comptoir des mots, donne “carte blanche” aux éditions Cadex, en invitant les quatre auteurs prestigieux de la collection dédiée à la nouvelle :

La rencontre, prévue à 20h, sera suivie d’un apéritif. 

Rendez-vous au Comptoir des mots : 239, rue des Pyrénées 75020 Paris - tél. 01 47 97 65 40.

mardi, 24 juillet 2007

La Valise, suite et fin ?

Villelongue d’Aude, mercredi 25 juillet, journée littéraire

Pierre Autin-Grenier

Lire ou écouter des textes de Pierre Autin-Grenier, c’est s’attendre à boire une menthe à l’eau, et sentir sous le palais un jus inconnu, surprenant et délicieux, plein de fraîcheur ou de profondeur, jamais dénués d’humour ni d’absurdité. Ils sont comme ça les brefs récits ou nouvelles de cet écrivain. Ça part avec des airs de train-train quotidien et ça vous accueille sans prévenir au coin de la poésie et de la fantaisie. Les curieux et les gourmands pourront bien s’en rendre compte par eux-mêmes, mercredi 25 juillet à Villelongue d’Aude ! Avec les livres du bonhomme, bien sûr, pour des lectures en fin de matinée et toute la soirée (intermèdes musicaux en prime et en direct). Mais aussi avec le bonhomme lui-même, qui sera là, derrière sa barbe et sa voix de rogomme. Sa prose, malicieuse et décapante, laisse deviner un grognon au c¦ur tendre, un pessimiste combatif, un flâneur pudique. A vérifier au cours de la rencontre-discussion prévue à 17h, voire au delà. Pendant le repas, pourquoi pas ! A Villelongue, rien n’est figé, tout se passe dans une convivialité tout à la fois contrôlée et libertaire, faut l’faire. Si vous souhaitez rester dîner, n’oubliez pas de réserver !
(Cécile Maveyraud)

Temps forts de cette journée organisée par l ‘association «  Pour La Nouvelle » : 11h, accueil, lecture, apéritif. 17h, rencontre littéraire. 19h, repas-buffet avec le « Comité de Lectures et de Loisirs » (10 euros, réservation au 04.68.69.50.30 ou 04.68.69.55.30). 20h30, soirée lecture-musique avec Tony Yates et avec la buvette du « Verre à Soif ».



Villelongue ? : entre Limoux et Mirepoix, juste après Loupia sur la gauche.
Tout se passe à la salle des Fêtes à partir de 11h, en bas du village, derrière la Mairie.

Pierre Autin-Grenier ? : Nous pouvons maintenant dévoiler que la plupart de ses livres sont à l’Arpenteur ou en Folio (”Je ne suis pas un héros” ; “Toute une vie bien ratée”).

Le 25 ? C’est mercredi.
Programme :
11h, accueil, quelques lectures, apéritif
La Salle des Fêtes sera ouverte jusqu’à la reprise à 17h : expos et rencontres informelles, thé à la menthe.
17h, Entretien avec Pierre Autin-Grenier : présentation, débat, lectures. Un temps pour découvrir l’¦uvre et l’homme…
19h, Repas-buffet préparé par le Comité de Lecture et de Loisirs. On servira même ceux qui n’auront pas réservé en téléphonant au 04 68 69 50 30 ou 55 30 ou par retour d’e mail.
20h30, soirée lectures et musique avec Tony Yates, blues acoustique, chant et guitare.

2034cd026dd1694f38966505ff97a312.jpg(La Valise – 3e épisode)

 

C'était un de ces petits matins mesquins, étroits d'épaules et fourbes où longtemps un pâle soleil s'acharne à percer l'aube comme si, contre la brouillasse, il ne devait jamais l'emporter. Ils avaient finalement laissé passer la nuit à l'hôtel ; il la raccompagnait maintenant dans ce demi-jour frileux au train pour Paris de 6h47. Le corps magique d'Anne-Lise lui avait quand même permis de se détacher pour un bon moment de l'ensorcelée valise. Seulement voilà : la rue à peine retrouvée, la pesante énigme à nouveau à bout de bras, lui revenait, plus térébrante que jamais, la douloureuse certitude de se précipiter au devant d'une catastrophe irréparable.

 

Tout en remontant d'un pas lourd l'avenue Robert-Le-Vigan qui conduit à la gare, il s'interrogeait avec anxiété sur les périls réels de la situation. A ses côtés la troublante Anne-Lise, toute guillerette dans la bruine matinale, pépiait sans cesse, guère pressée, semblait-il, de parvenir au terme de leur aventure. Insoucieuse ou dissimulatrice ?… Mentalement, il écarta d'un geste agacé l'idée d'une bombe : à devoir nous éclater entre les jambes, se dit-il, ce serait déjà fait ! Avec juste raison, il convint pareillement qu'un macchabée là-dedans enfermé – depuis douze heures au moins maintenant – se serait, d'une certaine manière, de lui-même manifesté. Or nulle émanation pestilentielle n'accompagnait leur marche. Pourtant l'odieux fardeau renfermait, à n'en point douter, quelque chose de bien effroyable et de monstrueux aussi ; c'était sûr. Peut-être y avait-il une mourmelotte vivante (mais endormie quand même) dans cette maudite valise… Panique !

 

Dévoré d'inquiétude, accablé, et de plus en plus persuadé de l'imminence du danger, il se réfugiait désespérément dans le regard des passants, souhaitant y lire confirmation de ses craintes, mais aussi implorant le secours dû à tout innocent qui fait naufrage. Cependant qu'Anne-Lise, enjouée et sautillante, le taquinait sur son air maussade, lui picorait le creux du cou de mille minuscules baisers, allant jusqu'à suggérer, pour finir, qu'il prît avec elle un billet de train pour Paris ! Il se dit que décidément, si par miracle il en réchappait, il n'aurait rien su déchiffrer de cette étonnante fille, pas plus que percer à jours ses noirs desseins. Ils pénétrèrent tous les trois dans la gare.

 

6h41. Trois minutes et le train à destination de Paris entrerait en gare. Quai numéro 4, voie 2. Empruntant le passage souterrain, ils faillirent être piétinés par un troupeau d'apaches en folie, chargés comme des baudets, et qui cavalaient à perdre haleine Dieu sait vers quel chimérique Eldorado ! S'étant hissés non sans peine à l'air libre, ils se trouvèrent alors parfaitement submergés par la foule des grands jours. Il y avait là toute l'humanité voyageuse, follement éprise de distances, de tropiques et de vaines bougeottes. Des quidams désorientés criaient partout pire des perdus, des enfants soudainement orphelins de père et mère se heurtaient à la solide indifférence de marco polo à demi-tarif, couples qui se retrouvent en de ruisselantes embrassades, ou se quittent, agitant, idiots, des mouchoirs déchirants du bout des doigts, surprenantes bonnes sœurs aussi en partance pour des extases ferroviaires, congés payés prévoyants encombrés d'énormes paniers-repas, chiens effarés, escrocs en liberté surveillée, cadres moyens costumes pied-de-poule moutarde, et le train ! enfin ! 6h44 ! attention ! le voilà ! Hip, hip, hip ; hourra !

 

Il bénissait cette cohue grouillante qui leur assurait ainsi un merveilleux anonymat. Une poignée de secondes, pensait-il, et c'en serait fini de son calvaire, il serait débarrassé pour de bon de cette damnée valise ; Anne-Lise emportant avec elle son terrible secret. Qu'ensuite le train déraille, se disloque, s'éventre, se pulvérise, s'envole tout entier à travers les arbres : il s'en souciait comme d'une guigne ! Encore fallait-il, au beau milieu de cette incroyable sauvagerie, dénicher un compartiment un peu accessible, qu'Anne-Lise puisse monter à l'abordage, se cramponner à la rambarde, coûte que coûte s'intégrer à la galère. Le convoi allait bientôt s'ébranler, l'urgence extrême poussait tous ces dégénérés à s'agglutiner aux mêmes portières ! Ni une ni deux, ils foncent vingt nœuds sur les wagons de tête ! La loco, ça y est, déjà sur ses rails remue ! Miracle, une brèche ! Anne-Lise saute, s'agrippe, s'engouffre ; dans un effort désespéré il tente de hisser la valise sur le marchepied, qu'elle harponne, s'en aille surtout bien avec ! Quand soudain ça fatigue, craque, lâche, s'ouvre ; et dedans : rien. Hébété il reste seul à quai, en main la poignée de la valise dont la petite serrure vient de céder sous l'immense pression du vide.

 

Pierre Autin-Grenier

Photo : Gildas Pasquet 

lundi, 16 juillet 2007

La Valise (suite)

Rappel de l’épisode précédent :
C’est donc le 25 juillet, un mercredi, que Pierre Autin-Grenier sera l’invité de PLN et du CLL (pour la signification des sigles, voir l’épisode précédent).

Depuis notre premier envoi, nous avons peaufiné le programme :
11h, accueil, quelques lectures, apéritif
La Salle des Fêtes sera ouverte jusqu’à la reprise à 17h : expos et rencontres informelles, thé à la menthe.
17h, Entretien avec Pierre Autin-Grenier : présentation, débat, lectures. Un temps pour découvrir l’¦uvre et l’homme…
19h, Repas-buffet préparé par le Comité de Lecture et de Loisirs.
20h30, soirée lectures et musique avec Tony Yates, blues acoustique, chant et guitare.

Comme dans toutes les journées littéraires de PLN, une grande part est réservée aux livres. C’est la librairie Mots et Cie de Carcassonne qui vous concocte une chouette sélection, avec bien sûr, la plupart des livres de Pierre Autin-Grenier.
Brèves présentera son dernier numéro qui comprend entre autres nouvelles, trois textes de Pierre et un court entretien.
Et comme dans toutes des animations du CLL, une grande part est réservée à la convivialité et au temps de se parler…

Après notre premier mail,
Vous avez été très peu nombreux à dire que vous ne viendriez pas. Merci.
Vous avez été tout aussi peu nombreux à dire que vous viendriez. Tout espoir est donc permis. MAIS, s’il vous plait, inscrivez-vous pour le repas buffet de 19h.
Vous avez été 1 personne à demander combien ça coûte. Ce qui est une bonne question. Voici la réponse : seul le repas buffet de 19h est payant. Prix tout compris, 10 euros, demi-tarif pour les ados (pourtant, qu’est-ce qu’ils bouffent !), et gratuit pour les petits.
Les livres sont payants à la librairie, prix unique imprimé au dos selon la loi Lang, profitons-en tant qu’elle est encore en cours.
Si vous habitez loin, contactez-nous pour les questions d’hébergements.

(La Valise – 2e épisode)   Tout en écoutant Anne-Lise discourir de choses et d'autres, il songeait à Vincent qui avait passé plus de vingt ans de sa vie avec pour toute richesse ses deux valises, déménageant sans cesse d'un cabanon de planches pour une grange en ruine, dormant le plus souvent à la belle étoile, vagabondant sur tous les chemins du monde nez au vent, et qui avait fini par devenir secrétaire d'Etat au Logement dans un gouvernement de transition. Entreposées au pied du grand escalier, dans le hall d'entrée de son château de Lagnes, en Vaucluse, les deux valises bien fatiguées étaient encore là cependant, voulant signifier que rien, jamais, n'est définitif et que vivre c'est toujours tenter de nouvelles aventures. Voilà du moins ce que se plaisait à répéter Vincent à tous ses visiteurs, qu'ils fussent ministres plénipotentiaires ou simples colporteurs d'anecdotes préfabriquées.     Comme il aurait aimé que Vincent fût là, en ce moment ! Il aurait deviné de suite, lui, ce que contenait vraiment la mystérieuse valise… Hélas ! était-il temps d'encore rêver, assis de la sorte sur une bombe ! S'imposait plutôt l'urgence d'habilement cuisiner Anne-Lise – avant que tout ne saute ! – et non point de s'abandonner à de fumeuses digressions, dissimulant ainsi un danger qu'il pressentait de plus en plus certain. Quoique très tendu il affecta un air faussement candide :   "Tu crois que l'accident d'avion d'hier est dû à l'explosion d'un engin piégé ?   - Je pense bien ! (Elle jubilait, se réjouissant manifestement du massacre.) D'ailleurs tous les passagers étaient crapules et coquins ; il y avait même le consul général de Patagonie, tu parles !… Ce n'est que justice après tout !" ajouta-t-elle au comble de l'exaltation.   Intérieurement, il s'effondra. Ainsi venait-il de succomber aux sortilèges d'une redoutable terroriste. Médusé mais amoureux quand même, il la dévisageait maintenant, immobile et bouche bée, comme au travers d'un merveilleux brouillard… Anne-Lise s'envolait déjà d'un rire léger dans le bleu du ciel, lorsque lui prenant la main, mi-tendre, mi-amusée, elle murmura :   "Tu sais, il n'y a pas de marmite infernale dans ma valise. Sois tranquille."   Il rit avec elle, de bon cœur et en partie rassuré.   N'empêche qu'au sortir du bistrot, saisissant à nouveau l'impossible bagage, il n'en savait pas davantage sur son contenu… Un petit hôtel n'était pas loin où ils avaient décidé d'aller un instant parler d'éternité et d'inutile, entre un papier peint passé de ton et des rideaux éteints, rien que tous les deux. "Tous les trois!" avait aussitôt protesté Anne-Lise, désignant du doigt la valise. Le jeune groom qui les guidait par un escalier à hautes marches et rampe de fer jusqu'à la chambre numéro 9 avait blêmi sous la charge ; au dernier palier il les toisa du regard inquisiteur d'un président de cour d'assises. Un bakchich de sultan vint opportunément réduire au silence ses fiers scrupules.   Oui, ce qui le fit frémir derechef ce fut cet air résolu avec lequel, la porte à peine refermée, Anne-Lise avait installé illico l'énorme valise au pied du lit, à même la courtepointe de coton piqué. Il questionna d'un œil d'amant chagrin, elle répondit par un sourire de Joconde équivoque. Mannequin chez Saint Laurent, la frêle enfant avait cependant soulevé le fardeau avec une facilité déconcertante, puis l'avait expédié sur le lit d'un air tout aussi dégagé. Une plume ! Il fallait porter et jalousement protéger un bien terrible secret, en redouter par-dessus tout l'horrible révélation, et dans l'angoisse et dans la peur aller puiser une force quasi-surnaturelle, pour accomplir avec aisance un tel exploit !… Anne-Lise maintenant demi-nue, ses petits seins têtus dans la pénombre complice offerts, il fut pris soudain du violent désir d'ouvrir enfin cette damnée valise, en finir pour de bon avec le sinistre pressentiment qui peu à peu l'envahissait, progressivement le paralysait.   Comment chasser de son esprit le souvenir de cette photographie à la une d'un magazine aperçue et qui montrait, sur papier glacé, le corps d'un nain en mille morceaux coupé, sous le titre : "La malle sanglante" ? De manière impérieuse s'imposait à lui l'idée qu'il venait sans doute de promener par les rues de la ville, des heures durant, le cadavre abominablement mutilé d'un amant déchu, de quelque apprenti sous-préfet assassiné pour la cause, peut-être celui, plus atroce encore, d'un père répudié. Le bonhomme, présentement au pied du lit, participait à leurs ébats !… D'une main tremblante il effleura son frais visage, elle lui offrit à nouveau sa bouche, il lui sembla qu'elle le fixait, tout d'un coup, avec comme des fleurs carnivores au fond des yeux…   (à suivre…)

Pierre Autin-Grenier (inédit)

 

jeudi, 05 juillet 2007

La valise

233088b6aa8b1314046e3f872700ab93.jpgLe Comité de lecture et de Loisirs et Pour La Nouvelle vous invite à une journée littéraire bien remplie, avec l’écrivain Pierre  Autin-Grenier Le 25 juillet à Villelongue d’Aude de 11h du matin à  tard dans la nuit… Temps forts : 11h, 17h, 19h, 20h30…  Des lectures, des expos, des débats, des conversations, des apéros,  des thés à la menthe et bien sûr un repas partagé (où il faut  s’inscrire), de la musique, de la bonne humeur et de la littérature… Pour que l’on vous accueille bien, prévenez de votre présence  par mail (editions@atelierdugue.com) ou au 04 68 69 50 30.

Et pour commencer,  en pièce jointe un feuilleton… 

 

La Valise

 

Croisant Anne-Lise il tomba amoureux et s'offrit par conséquent à porter sa valise. Hélas elle était lourde. Démesurément.

 

D'aussi terribles valises, il en avait pourtant trimballé, jadis, l'enfant pleurnicheur et nu qui pour la première fois entrait, désemparé, au pensionnat. Par les rues désertes de la ville traînant la patte, seul au beau milieu du pathétique désordre des pavés disjoints, il s'en allait alors, contraint et forcé, livrer aux maîtres d'internat à tonsures et rabats les derniers lambeaux de son enfance. Dans les poches du pantalon mal raccommodé : de la petite ficelle pour se pendre, et dans les pitoyables bagages de carton, entre chandails usagés et chaussettes de grosse laine vingt fois ravaudées, livres et cahiers écornés : le poids de toute la misère du monde. Cet animal blessé qu'on tirait par le col vers la saleté des abattoirs, aujourd'hui encore sans cesse se débattait au fond de sa mémoire. Lui avait-on assez appris à se méfier de tout, ne croire en rien, toujours se tenir sur ses gardes !… Pour l'heure cependant, la valise aux souvenirs à bout de bras et la jeunesse d'Anne-Lise à ses côtés, la question était de savoir s'il irait ainsi plus loin que milieu du ciel ou si faire halte de suite à la terrasse du "Grand Café" ne serait pas plus évident.

 

24550577845e8c72002c9cd197f534f9.jpgElle avait commandé une vodka polonaise, lui un pinot gris. Elle avait surtout insisté pour que la valise reste au plus près du guéridon, collée contre sa jambe. Il avait trouvé cette précaution extrême un tantinet comique. Ils avaient ensuite parlé de ce dont on parle lorsqu'on devrait se connaître depuis dix ans déjà et que l'on se rencontre pour la première fois. Des exercices d'admiration de Cioran aux vitrines des libraires cette semaine-là, d'un accident d'avion survenu la veille, de leur penchant commun pour le confit de canard. Puis il avait commandé un quatrième pinot gris ; elle avait finalement accepté une seconde vodka polonaise. En somme rien que de très ordinaire, n'est ce pas….

 

Non, ce qui l'intriguait par-dessus tout, voyez-vous, c'était cette espèce de tic ridicule de toujours surveiller sa valise. Entre chaque mot, elle jetait un bref coup d'œil sur l'encombrant bagage cloué à ses pieds, comme si le monstrueux fardeau menaçait d'envol. Bon courage, pensait-il, à l'ingénu brigand qui projetterait de déraciner à la va-vite une telle charge pour s'en en emparer ! Sûr, il n'irait pas loin !… Mais quand même : que pouvait bien renfermer de si précieux cette valise pour justifier pareille vigilance ? Anne-Lise tremblait-elle qu'on ne lui dérobe quelques broderies aux ajours audacieux, certains dessous de dentelle à l'aiguille, point d'Alençon, guipure du Puy ? Et par quelle magie, madame, ces frivolités feraient-elles la tonne ?! A vrai dire, comme tous les pauvres gens qu'on voit par les rues traîner sans fin d'énormes valises de cuir bouilli, elle aussi charriait sans doute là-dedans mille rêves avortés, des bateaux sombrant à quai, cent ans d'enfance pataugeant en galoches dans du sang de vache et bien d'autres révoltes, cris d'émeute, qui venaient de plus loin encore, raz-de-marée menaçants et lourds jusqu'à l'inavouable !… Une pointe de panique soudain lui transperça le cœur : et s'il y avait réellement une bombe, là, sous cette table, dans la valise ?…

Pierre Autin-Grenier (inédit)

Photos de Gildas Pasquet

 

(à suivre…)

 

lundi, 04 juin 2007

Pierre Autin-Grenier à Avignon

Lecture de Pierre Autin-Grenier 
le mercredi 6 juin à Avignon  à 18h45

Pierre Autin-Grenier  lira  Un cri  à la librairie Evadné-Les Genêts d’or  à Avignon. 


La rencontre est prévue à 18h45, au 53 Rue Joseph Vernetmais nous vous invitons à venir un peu avant pour faire connaissance autour d’un verre ! Entrée gratuite. 

Renseignements : 04 32 44 46 26


dimanche, 29 avril 2007

Il est déjà fort tard dans la nuit

medium_21.jpg"A quoi bon ma vie immobile dans ce trou noir, je me dis, quand partout alentour s'agitent des ingénieurs en aéronautique, parcourent en tous sens la planète Messieurs les Administrateurs des Iles Eparses et des experts assermentés près les tribunaux expertisent tandis qu'ailleurs attaquent formidablement des banques des bandits prodigieux ? Vrai, comment ne pas se demander ce que l'on est venu faire là au milieu et d'où nous vient cette audace de respirer le même air qu'eux ? 
Il est déjà fort tard dans la nuit quand sous le couvercle de ma boîte de camembert, je parviens à réduire tous ces gens importants en bouillie et ramener leurs prétentions au niveau des miennes ; alors, adieu plomberie existentielle ! Je glisse enfin vers le sommeil, tel un lézard sous la lune, lentement avançant sus ses petites pattes à la recherche de trèfles à quatre feuilles dans le gravier des cimetières." 
Pierre Autin-Grenier
Dernier ouvrage paru : "L'ange au gilet rouge", Nouvelles, L'Arpenteur, Gallimard, avril 2007

mardi, 24 avril 2007

Pierre Autin-Grenier à la librairie Passages à Lyon

medium_medium_medium_inconnu_2.2.jpgMercredi 25 avril à 19 H pour son recueil "L'ange au gilet rouge", éditions L'Arpenteur.

11 rue de Brest, Lyon 2 ème, o4 72 56 34 84

librairie.passages@wanadoo.fr

 

vendredi, 20 avril 2007

Un inédit (de circonstance) de Pierre Autin-Grenier

medium_DOCU0002.JPG ÉCOULEMENT DU TEMPS            

Comme à la pendule de la cuisine le temps avait pris un coquet retard et qu’à moins de remplacer les piles fatiguées par des en pleine forme il paraissait évident que ce laisser-aller ne pouvait qu’empirer au fil de la journée, j’ai décidé de mettre à profit cette défaillance mécanique et employer les heures ainsi rendues disponibles à quelque éblouissante futilité susceptible d’un instant m’alléger l’âme. Nous étions une fois de plus en pleine période de guerre civile larvée et, certains jours, l’atmosphère en devenait d’une moiteur franchement étouffante.      

Le couvre-feu interdisant toute sortie en soirée, bien qu’en ce début mai le ciel soit déjà d’été, je suis allé m’enfermer l’après-midi dans la petite salle du Rivoli revoir un de ces navets à la gloire du régime qui, pris au second degré, me font toujours intérieurement pleurer de rire tant le grotesque y dispute au grandiloquent sans que les protagonistes semblent seulement se douter qu’une telle mise en scène de leur bêtise les condamne à court terme au poteau. Si trois veilleuses mouchardes ne tremblotaient en permanence au plafond l’assistance serait certainement secouée de fou rire, au lieu de quoi tout le monde se lève et applaudit à la fin du film tandis que la régie envoie l’Hymne au Travail, comme l’exige le nouveau règlement.     

Cette absurde pantomime sur écran géant m’aurait sans doute déridé pour un bon moment si, au sortir de la séance, je n’étais tombé sur un sévère accrochage entre une brigade de patriotes et les forces paramilitaires pour le maintien de l’ordre. Deux miliciens blessés avait porté leurs congénères au comble du vertige qui firent feu à l’étourdie sur tout ce qui bougeait et semblait encore vouloir vivre. En un éclair une dizaine de jeunes gens du côté de leur dix-huitième année à peine furent abattus à même le pavé et quelques autres prestement embarqués qu’on ne reverrait sans doute plus à l’air libre avant longtemps. Tous les passants à plat ventre sur les trottoirs, casquettes et chapeaux ayant roulé au caniveau, certains aplatis contre les murs des immeubles et mains en l’air selon l’habitude. J’étais resté debout devant le cinéma tel un automate sans ressort, songeant dans le vide à l’époque ma foi heureuse d’avant l’entrée en vigueur des pouvoirs exceptionnels.     

Sur le chemin du retour je suis passé par la quincaillerie Blondet voir s’il ne s’y trouverait pas par hasard deux piles neuves pour ma pendule. Certains jours on vieillit plus vite que d’autres certes, mais je me suis dit qu’il devenait quand même urgent que le temps reprenne au plus tôt son cours.

P.A.G

Extrait de « C’est tous les jours comme ça », inédit.

Dernier ouvrage paru : "L'ange au gilet rouge", nouvelles, L'Arpenteur Gallimard, avril 2007

Peinture de Annie Caizergues